[Traduction de Sabrina Laurent]
Cet article a d’abord été publié sur le site du H-Museum en 2008. L’affichage actuel peut être différent. La première photographie de la Mackintosh House, avec la galerie d’art derrière, est l’œuvre de « Ham II » et peut être utilisée selon la licence « Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 non transposé (CC BY-SA 3.0) ». La perspective a été corrigée. Cliquez sur les autres images pour plus d’informations. – Jacqueline Banerjee.
L’Université de Glasgow fait partie des rares universités en Europe à abriter un musée (Hunterian Museum) ainsi qu’une galerie d’art (Hunterian Art Gallery) ; les deux ont hérité leurs noms du Dr. William Hunter (1718 – 1783), qui légua ses importantes collections à l’Université, lui permettant ainsi d’ouvrir le premier musée d’Ecosse, en 1807. A Glasgow, le grand nom de la science est Lord Kelvin, célèbre pour ses travaux sur le « zéro absolu » et, dans le domaine des arts, on retient celui de Charles Rennie Mackintosh (1868 – 1928). Une exposition permanente est consacrée à Kelvin au sein du Museum, tandis qu’un corps de bâtiment entier, rattaché à la Hunterian Art Gallery, est dédié à Mackintosh ; il s’agit de la Mackintosh House (Maison de Mackintosh) où des œuvres de sa femme Margaret Macdonald Mackintosh (1864 – 1933) sont également présentées.
La Mackintosh House fait dont partie intégrante de la Hunterian Art Gallery, qui fut construite entre 1973 et 1981. L’extérieur est une réplique largement modifiée de la maison située au 6 Florentine Terrace (qui devint plus tard le 78 Southpark Avenue), dans laquelle Mackintosh et Macdonald emménagèrent en 1906, après y avoir apporté d’importantes modifications structurelles. Cette maison fut finalement achetée par l’Université, qui la démolit avec les maisons mitoyennes en 1963 « dans ce qui semble être pour beaucoup aujourd’hui, et à l’époque déjà pour certains, un acte de vandalisme crasse », comme l’écrit le Professeur Pamela Robertson, conservatrice en chef, dans son excellent catalogue dédié à ce sujet. L’une des quelques personnes à s’être émues de cette destruction à l’époque fut le Professeur Andrew McLaren Young, conservateur honoraire des collections d’arts, qui s’assura que des photos soient prises, que le levé de la propriété soit fait et que le maximum d’éléments (cheminées, plinthes) soient sauvés et entreposés en lieu sûr avant la démolition. Grâce à des dons, l’Université détenait déjà une quantité importante du mobilier conçu par le couple.
Il ne restait plus qu’à trouver un abri permanent pour conserver tous ces meubles et ces objets, d’où l’idée de reproduire la Mackintosh House dans une annexe de la Art Gallery au départ destinée à accueillir les collections d’art de l’Université. Le mobilier exposé fut en majeure partie conçu et réalisé avant 1906, mais les conservateurs ont souhaité inclure uniquement des objets, des éléments décoratifs et des équipements dont la présence au 6 Florentine Terrace pouvait être attestée.
Quoique l’extérieur du bâtiment ne cherche pas à reproduire fidèlement l’original (la rangée de maisons avait été construite en grès local alors que la réplique de la Mackintosh House est en béton recouvert d’un plâtre rugueux), l’illusion fonctionne à l’intérieur. L’orientation de la maison a même été conçue de façon à respecter les caractéristiques de celle du 6 Florentine Terrace, alors située à tout juste 100 mètres de distance, reproduisant ainsi les mêmes points de vue et le même éclairage naturel. L’enchaînement logique des pièces donne l’impression de visiter une « vraie » maison, avec une entrée par le hall – à une exception près, celle de ne pas entrer par la porte d’origine, par ailleurs conservée, mais par ce qui devait être le vestiaire. Les éléments les plus remarquables dans ce hall plutôt sombre sont les luminaires, que le visiteur associe immédiatement à Mackintosh, ou du moins à l’Art Nouveau.
Reconstitution de la salle à manger.
Puis on pénètre dans la salle à manger, dans une obscurité assez étrange. Le soleil brillait à l’extérieur lors de ma visite, mais l’orientation à l’est signifiait que passé midi, la pièce ne bénéficiait plus de sa lumière directe. L’un des gardiens expliqua que les « gouttes de rosée » argentées sur les murs devaient refléter les rayons du soleil, mais cela ne durait sans doute qu’un bref moment le matin. L’association des meubles en chêne foncé et des murs gris (quoique la frise et le plafond soient blancs) n’égaye pas la pièce ; l’impression est renforcée par les chaises à dossier haut qui semblent mettre la table « en cage ». Ces chaises sont remarquables par leur technique de fabrication en plus de la beauté singulière de leurs formes ; il semblerait que ce modèle fut d’abord utilisé pour les célèbres Tea Rooms de Miss Cranston. Les plafonniers sont tout aussi extraordinaires.
C’est un soulagement de retrouver la lumière du jour au premier étage ; elle se reflète avec éclat sur les murs blancs et les meubles pour la plupart également blancs du salon, dans lequel on pénètre par une grande baie exposée sud. Mackintosh avait en fait redessiné toute la structure de cet étage afin d’obtenir un large espace ouvert en forme de « L », sans aucune séparation entre le salon et l’atelier. L’association du blanc avec le féminin et du noir avec le masculin, courante à l’époque de Mackintosh, est reproduite dans le choix des couleurs qui décorent les deux parties du « L ».
L’atelier « masculin » comprend un magnifique (quoique peu pratique) secrétaire en bois d’acajou ébonisé (un parmi les deux seuls exemplaires existants), auquel Mackintosh était particulièrement attaché. A sa droite se tient une bibliothèque décorée et quasiment toute blanche, et en face, au-dessus de la cheminée, on découvre un splendide panneau en gesso réalisé par Margaret Macdonald Mackintosh, The White Rose and the Red Rose, peint à l’origine pour le Rose Boudoir exposé par le couple à Turin en 1902. D’autres œuvres exposées à cette occasion sont présentes dans le salon, devant la fenêtre côté sud : une table ovale blanche d’une hauteur moyenne (entre celle d’une table à manger et celle d’une table basse), avec des chaises assorties dont les hauts dossiers (contrastant avec les sièges bas) sont décorés d’un motif floral réalisé au pochoir. Plusieurs autres modèles de chaises sont également exposés et rappellent au visiteur combien Mackintosh fut créatif dans ce domaine – malheureusement on ne peut évaluer leur confort qu’avec nos yeux, puisqu’il est bien entendu interdit de s’y asseoir. Il faut dire que certaines de ces chaises semblent extrêmement inconfortables pour des personnes habituées à la tradition occidentale, et sa chaise cloisonnée couverte de tapisserie et ornée de médaillons (lug chair) semble peu adaptée à des personnes d’un certain âge, car elle n’offre aucun support pour se redresser à l’aide des bras. Les Mackintosh ne devaient recevoir que des invités peu âgés et en pleine forme – ils étaient d’ailleurs eux-mêmes encore relativement jeunes lorsqu’ils vivaient au 6 Florentine Terrace.
L’une des grandes attractions du salon est son meuble de rangement peint en blanc qui révèle à l’ouverture une décoration très élaborée sur la face intérieure des portes, ce qui va à l’encontre de la tradition classique : dans une demeure bien tenue, les portes des meubles doivent être fermées, or dans ce cas il est évident qu’elles sont censées rester ouvertes. Le nombre très limité d’objets disposés avec soin à l’intérieur et au-dessus des meubles de rangement et du manteau de la cheminée complète cette reconstitution de l’atmosphère telle que les Mackintosh l’avait conçue (comme l’attestent les amis et visiteurs du 6 Florentine Terrace). L’illusion est parfaite et l’on oublie qu’il s’agit en fait d’un bâtiment des années 1970.
Exemples de mobilier blanc créés par Mackintosh et tels que décrits dans l’article. Remarque : les pièces (a) et (b) sont ornés de motifs au pochoir. De gauche à droite : (a) table ovale (b) lit à baldaquin (c) coiffeuse/commode avec un miroir.
Les objets se font encore plus rares dans la chambre à coucher du deuxième étage, conçue presque entièrement dans des tons blancs et blanc cassé. L’une des parties du « L » dont Mackintosh modifia également la structure est entièrement occupée par un lit à baldaquin avec des rideaux beige pâle décorés au pochoir, ne laissant ainsi qu’un espace sur les côtés pour y accéder. Le meuble le plus remarquable situé près des fenêtres est une extraordinaire psyché dont le décor rappelle celui de l’imposante armoire placée contre le mur en face. Ici encore, un panneau décoratif réalisé par Margaret Macdonald Mackintosh, cette fois en cuivre argenté et martelé, est accroché au-dessus de la cheminée. Toutes les cheminées de la maison ont d’ailleurs été conçues par Mackintosh, la plus remarquable étant probablement celle du salon.
La visite de la maison à proprement parler s’achève ici, mais il existe un étage supplémentaire, la Mackintosh House Gallery, où sont exposés des objets dessinés par les Mackintosh et leurs amis mais qui ne proviennent pas du 6 Florentine Terrace (ils déménagèrent en 1914). La pièce la plus spectaculaire est la reconstitution d’une chambre d’amis avec des lits séparés, dessinée et construite pour un client de Northampton en 1917 – 1919, avec son linge de lit et son décor à rayures bleues qui contrastent avec le chêne doré des têtes et des pieds de lit.
Il serait vraiment dommage de ne pas visiter la Mackintosh House lors d’un voyage à Glasgow ; il s’agit en effet d’un cas d’école fascinant de la création d'une aile spécialement conçue pour faire partie intégrante d'un musée, et ce afin d'y abriter une collection spécifique dans un environnement qui lui convient parfaitement (et pour certains cas, comme celui des cheminées, dans un environnement qui intègre des pièces majeures de la collection) : c’est un excellent exemple de muséologie réussie dans des circonstances complexes.
A note : une visite virtuelle est disponible sur le site du musée au moment de cette publication.
Bibliographie
Robertson, Pamela. The Mackintosh House. Glasgow: Hunterian Art Gallery, University of Glasgow, 1998.
Dernière modification 23 novembre 2021; traduction de Sabrina Laurent, 12 juillet 2022